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l'art par la musique



Si vous ne comprenez plus rien à rien, pensez à autre chose

Ne prenez pas vos désirs pour des banalités

On ne peut pas enfermer tout le monde, c'est déjà fait

J’ai perdu la raison et le chemin ;
j’ai gagné l’art de délirer sans fin



Brigitte Fontaine est déroutante. Elle publie Boulevard des SMS, avec le dessinateur Alfred, recueil de maximes empreint d’une poésie résolument moderne. Sur ce Boulevard le trafic est dense, on y croise des papillons, Dieu, la langue française (« aphrodisiaque »), des femmes, des hommes, des bêtes, des cornemusiers, des mille-feuilles et même des tiroirs USB, comme un drôle d’autoportrait diffracté (même si l’image ne lui plait guère)… Brigitte Fontaine nous reçoit chez elle pour nous parler de ce drôle d’univers mais aussi de son admiration pour Bob Dylan, Prince ou Serge Gainsbourg. L’entretien est à son image, hors des clous et zazou, jusqu’à sa conclusion : elle nous fait écouter Kathleen Ferrier chantant Brahms, une de ses chanteuses préférées, avec Billie Holiday et Nina Simone. Décidément, Brigitte Fontaine préfère parler des autres pour se dire, l’une de ses nombreuses élégances.

Entre Alfred et Brigitte Fontaine, c’est l’histoire d’un rendez-vous à rebours. Il y a des années de cela, le dessinateur a « rencontré » la chanteuse, quand il a entendu pour la première fois la voix suave et rauque de l’interprète de Il pleut. Pour l’enfant qu’il était, c’est un choc, un trouble, une première expérience textuelle.
Comme Alfred le souligne en postface de Boulevard des SMS, il y eut d’abord le texte, puis, vint la voix. Qui lui sera « de plus en plus familière, nécessaire ». La Symphonie pastorale, Duel, La Femme à barbe, Prohibition, Sur une mer gelée… « La voix de Brigitte, les mots de Brigitte, son phrasé… » C’est par elle qu’il en est venu à lire et à aimer la poésie.

Dans Boulevard des SMS, il y a donc les mots de Brigitte et les dessins d’Alfred. L’auteur de Come Prima et Pourquoi j’ai tué Pierre (avec Olivier Ka) primés à Angoulême a illustré les maximes de l’artiste protéiforme, chanteuse, écrivain (sans « e » final, Brigitte Fontaine refuse la féminisation du mot), comédienne, dramaturge. Les sketchs (au sens graphique du terme) répondent aux aphorismes, aux formules, renvoient et prolongent, interprètent, sans jamais expliciter, sans dénaturer.
Tout n’est que poésie dès lors dans ce mariage improbable entre les illustrations d’Alfred et les aphorismes magiques de Brigitte. Comme des ponctuations, des points de suspension peut-être, comme un souffle retenu entre les pages, entre les mots, entre les lignes.

Brigitte Fontaine a pensé ce Boulevard des SMS comme un recueil de pensées éparses, fugaces mais destinées à rester, depuis le vieux cahier auquel elle tient beaucoup sur lequel elle les note, jusqu’au livre imprimé. Quand on lui demande pourquoi ce titre, l’artiste répond qu’elle préfère le terme de « texto », mais SMS c’est très bien aussi. Chacun de ces aphorismes, chacune de ses maximes — elle use des deux termes pour les désigner mais aucun ne peut les réduire —, joue de contrastes, d’effets de surprise, de soudains décrochages, voire de contradictions. Rien ne pourra jamais enfermer Brigitte Fontaine qui aime à se dire « oxymore vivant« .

Boulevard des SMSLa pensée virevoltante de Brigitte Fontaine, dans le livre comme lors de notre drôle de rencontre avec elle, décolle et s’emporte, s’envole, va de là à là en passant par ici. On pressent une forme de misanthropie, on se trompe. On croit déceler la nostalgie. On est libre de le croire. On n’est pas dans le «c’était mieux avant», on n’est nulle part. Brigitte Fontaine est déconcertante, une voix discordante dans un concert lisse. Une surprise dans un monde policé.
Une étrangeté, une intelligibilité, un trouble : la poésie, un charme fou et hors du temps, ne dit-elle pas dans Boulevard des SMS avoir « 20 000 ans mais seulement 4 d’utiles » ?

Entre regard acéré sur le monde et pas de côté, Boulevard des SMS est une œuvre qui (dé)construit sa propre poétique : Brigitte Fontaine livre ses émotions et s’amuse des nôtres. « Désabusée, Brigitte Fontaine ? – Oui, peut-être. Pourquoi pas. » Rien n’est moins sûr. Quand elle dit qu’elle est un monstre, de quoi parle-t-on ? D’animaux, de viande, de fourrure. Tout doit se lire dans la permanence du paradoxe. Ses pensées sont paradoxales, elles ont deux facettes (sans doute davantage). Ses maximes sont des contrepoints, elles énoncent et rebroussent chemin. Pourtant chacun sait qu’il est dangereux de faire demi-tour sur un boulevard. Brigitte Fontaine s’en fout.